Déprime ou dépression? Repérer les différences
Déprime ou dépression : repérer les différences
Il est assez commun de se dire déprimé, ou de dire de quelqu’un qu’il a un coup de déprime. Par ailleurs, on entend beaucoup parler de la dépression comme d’un mal qui se répand selon des proportions inquiétantes dans nos sociétés contemporaines. La distinction n’est pas toujours claire et pourtant ces deux termes désignent des réalités bien différentes. D’un côté on parle d’un processus normal dans toute vie psychique et même d’une capacité précieuse permettant de réguler notre activité interne. De l’autre, il est question d’une véritable maladie qui déteriore en profondeur le fonctionnement psychique et qui présente des risques sérieux sur le long terme. On verra que les signes de la déprime et de la dépression se ressemblent et se recoupent pourtant jusqu’à un certain point. Si la déprime est un état transitoire de mal-être qui permet de gérer émotionnellement des difficultés ponctuelles et qui se résout en général rapidement et favorablement, elle peut cependant aussi évoluer en dépression si les difficultés concrètes ou la charge émotionnelle dépassent les capacités d’intégration de la personne. On peut donc parler d’ « état dépressif » pour désigner un ensemble de signes ou de symptômes qui à un moment donné évoquent la déprime et/ou la dépression sans que l’on puisse se positionner fermement sur la nature de cet état. Alors déprime ou dépression ? Vous trouverez ici des clés pour mieux comprendre ce qui les différencie, ainsi que des éléments concrets pour apprendre à les identifier et à mieux vous protéger.
La déprime, un processus normal
La déprime est l’expression de ce qu’on peut appeler la « dépressivité », à savoir la capacité à traverser les épreuves difficiles pour soi, qu’elles soient mineures ou majeures, sans s’effondrer complètement. Ainsi, « les variations d’humeur, les sensations de tristesse, de vide, de « coup de blues » appartiennent à la capacité dépressive normale de l’humain ». Il s’agit en somme d’un mécanisme de gestion des difficultés psychiques : celles ci vont surtout s’exprimer par la régulation de l’humeur, qui va baisser. On peut prendre l’image de la cocotte-minute et considérer que la dépressivité est l’une des soupapes de sécurité du psychisme. Elle permet de laisser s’échapper la pression afin que l’équilibre se rétablisse. Il est donc naturel au cours de notre vie de passer par des moments de déprime, et c’est même le signe d’un psychisme sain : certaines personnalités sont trop fragiles pour être même en mesure d’éprouver émotionnellement leurs difficultés. Aux sources de la déprime, on trouve souvent un ou des événements spécifiques. Il se peut que vous viviez différentes expérences difficiles sans faillir, en « tenant le coup », et qu’un élément mineur vous déstabilise et vous conduise à la déprime. Dans ce cas, il s’agit d’une fatigue psychique, votre système ne peut plus continuer à fonctionner comme à son habitude, vous n’êtes plus en mesure de tenir, de faire comme si tout allait bien et cela se manifeste concrètement via le coup de déprime. La gravité objective de l’événement n’est pas non plus à mettre en lien avec la manifestation de la déprime ; le psychisme renvoie à un ensemble de mécanismes complexes permettant de gérer les stimulations psychiques de tout ordre, et dans le cadre de ce processus demande parfois à « décompresser » et se relâcher d’une tension ordinaire. La déprime est donc un mauvais moment à passer. Elle se caractérise par une baisse de l’humeur, avec un sentiment de tristesse et de vide. Elle est souvent accompagnée d’anxiété, parfois d’irritabilité et fréquemment de troubles du sommeil (insomnies ou à l’inverse besoin de sommeil plus important qu’habituellement). Ces symptômes sont communs à la déprime et à la dépression, même si dans ce dernier cas ils sont plus massifs ; on pourrait donc avoir tendance à considérer la déprime comme une dépression légère. Plusieurs choses les distinguent pourtant, au delà de l’intensité. D’abord, la question de la fonction : dans un cas il s’agit d’une décompression momentanée destinée à maintenir l’équilibre du système psychique, dans l’autre il s’agit d’une véritable décompensation, au sens où le système trop éprouvé lâche véritablement sans pouvoir revenir de lui-même à la normale. Ensuite, la déprime disparaît rapidement et naturellement. Les symptômes ne se maintiennent pas sur la durée, la personne retrouve assez vite son mode de fonctionnement habituel. A l’inverse, la dépression est une atteinte profonde du fonctionnement qui s’installe durablement. Enfin, ce qui permettra plus concrètement de caractériser un état dépressif comme étant une simple déprime ou une dépression, c’est l’étendue des symptômes. Comme on va le voir, la plupart des capacités et des aptitudes sont préservées dans le cas de la déprime alors que la dépression va venir détériorer tous les secteurs de la personnalité.
Les symptômes de la dépression
La dernière version du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5), qui répertorie les critères permettant d’identifier les différents troubles psychiques, définit la dépression sous l’intitulé d’ « épisode dépressif caractérisé » et identifie 9 symptômes propres à la dépression. La sévérité de l’épisode va varier (léger, moyen ou sévère) en fonction du nombre de symptômes présents et de leur intensité ; celle-ci doit être évaluée par un professionnel de santé ou par un psychologue. Pour établir le diagnostic de dépression, les symptômes suivants doivent avoir été présents pendant au moins deux semaines et être ressentis par la personne la majorité du temps : l’humeur dépressive (sentiment de tristesse ou de vide), la perte d’intérêt ou de plaisir pour les activités habituellement pratiquées et appréciées, les changements d’habitudes alimentaires (et notamment perte ou gain de poids significatifs), les troubles du sommeil (insomnie ou besoin de sommeil plus important qu’habituellement), l’agitation ou le ralentissement psychomoteur dans les activités quotidiennes, une fatigue omniprésente (perte d’énergie), un sentiment de dévalorisation ou de culpabilité, des troubles cognitifs (difficultés de concentration, indécision), et enfin des idées suicidaires. Pour établir un diagnostic de dépression (ou épisode dépressif caractérisé), il faut que la personne présente au moins 5 de ces symptômes, comprenant nécessairement soit l’humeur dépressive, soit la perte d’intérêt et de plaisir. On voit bien ici que la dépression est susceptible de toucher les domaines les plus variés de la personnalité, qu’ils soient affectifs, comportementaux ou cognitifs : on est avec la dépression sur une atteinte globlale du fonctionnement de la personne, qui ne se reconnaît plus, ce qui augmente la douleur morale et le sentiment de perte de contrôle. Le DSM identifie plusieurs formes de dépression en fonction de la prédominance de certains symptômes et du profil psychique de la personne, et nous pouvons en retenir que (presque) tout le monde est susceptible d’être touché. S’il y a des structurations de personnalité qui y sont moins sujettes que les autres, la dépression est le mode de décompensation psychique le plus courant. Elle est aussi porteuse de risques importants, puisque 30 à 50 % des tentatives de suicide en France surviennent dans le cadre d’une dépression. Souvent mal comprise par l’entourage qui peut y voir l’effet d’un manque de volonté ou de motivation, elle est socialement stigmatisante. L’estime de soi étant atteinte, les personnes souffrant de dépression ont tendance à se reprocher leur état, ce qui ne fait qu’alimenter un cercle vicieux de culpabilité et de d’auto-dépréciation. On retrouve ici la question de l’étendue des symptômes, qui distingue déprime et dépression : dans le premier cas la baisse de moral s’accompagne de perturbations de surface qui touchent à l’activité quotidienne (sommeil, irritabilité) alors que la dépression vient déteriorier les mécanismes fontamentaux du fonctionnement psychique (estime de soi, cognition). Une transition progressive de la déprime vers la dépression est possible : elle signifie que nos capacités de résilience, c’est à dire la possibilité de surmonter une épreuve en retrouvant son équilibre psychique, sont épuisées. Dans ce cas, la déprime ne suffit plus en tant que mécanisme normal de régulation du fonctionnement psychique, l’état dépressif s’aggrave et l’on « tombe » en dépression.
Les causes de la dépression
Elles sont nombreuses et la dépression résulte souvent d’une combinaison complexe de facteurs psychologiques, génétiques et environnementaux. On peut noter que la dépression touche deux fois plus les femmes que les hommes et que l’hérédité est un facteur de risque : les personnes ayant une histoire familiale dans laquelle on retrouve des troubles de l’humeur présenteront une sensibilité plus marquée à la dépression avec davantage de risques de développer la maladie. Les troubles de l’humeur renvoient en effet à une catégorie de troubles comprenant la dépression (trouble unipolaire) et les troubles bipolaires. Les événements de vie stressants et/ou douloureux (problèmes professionnels, familiaux, sociaux, deuil…) font aussi partie des causes de la dépression, particulièrement lorsqu’ils s’accumulent jusqu’à épuiser nos ressources psychiques. Enfin les personnes diagnostiquées avec un trouble de la personnalité sont aussi plus sujettes que les autres à la dépression. Le trouble de la personnalité correspond en effet à un mode d’organisation pathologique de la personnalité permettant de lutter contre différentes formes de souffrance psychique (personnalités paranoïaque, schizoïde, schizotypique, antisociale, bordeline, histrionique, narcissique, évitante, dépendante ou obsessionnelle-compulsive) : les personnes qui en sont porteuses sont donc généralement plus fragiles et/ou instables du point de vue psychique et de ce fait plus susceptibles de décompenser, ou de s’effondrer psychiquement, à travers la dépression. Tous les troubles de la personnalité ne sont cependant pas touchés de la même manière : les troubles de la personnalité histrionique et borderline (marqués par une émotivité et une sensibilité importantes) ont été repérés comme étant ceux qui connaissent le plus d’épisodes dépressifs. De manière plus générale, notre personnalité, résultat de notre construction psychique, peut présenter une prédisposition à la dépression. Freud considérait que la personnalité peut être représentée comme un cristal comportant virtuellement des lignes de fracture spécifiques : si ce cristal devait se briser, il ne pourrait le faire qu’en suivant les lignes de failles inscrites dans sa structure. En somme, pour un traumatisme psychique comparable, la décompensation ou l’effondrement ne se manifesteront pas sous la même forme selon notre organisation psychique, nos modes de fonctionnement et notre personnalité. Bergeret expliquait ainsi que les personnalités de type « limite » étaient, de par leur nature, plus sujettes aux dépressions sévères que les personnes structurées selon le mode névrotique ou psychotique. Selon lui, ce sont les blessures narcissiques, caractéristiques des personnes dites « états-limites » (ou borderline), qui nous rendent le plus sensible à la dépression. En effet la dépression est traditionnellement considérée comme une souffrance liée à la « perte de l’objet » d’amour et à l’abandon. Si nous nous sentons incomplet dû à des failles au niveau de l’amour de soi, ou du narcissisme (le plus souvent liées à des blessures d’enfance), nous aurons tendance à nous construire en appui sur différentes béquilles affectives comme nos relations aux autres, l’investissement de la vie professionnelle ou les comportements addictifs (plus de détails concernant cette question sur ce blog dans l’article Dépendance affective : comment devenir émotionnellement stable ?). Or ce mode de fonctionnement est particulièrement investi par les personnalités dites « limites ». Il peut suffire qu’une de ces béquilles cède (rupture, deuil, transition professionnelle…) pour que nous développions une dépression. Abraham affirmait d’ailleurs que les sujets prédisposés à la mélancolie (caractéristique de la dépression sévère) étaient plus souvent porteurs de traits de personnalité obsessionnels et associés à la dépendance affective. En somme, si la dépression est un mode de décompensation psychique très courant susceptible de toucher un grand nombre de personnes, il existe un terrain personnel (génétique et psychologique) qui nous expose plus ou moins au risque dépressif, indépendamment des facteurs environnementaux.
Pour se protéger et pour s’en sortir
Soyez vigilant(e) et observez les signes. Si vous sentez que votre déprime s’installe au delà de quelques jours, il faut réagir vite et consulter un professionnel de santé et/ou un psychologue. Un médecin généraliste sera dans un premier temps en mesure de repérer le risque, de vous conseiller et de vous orienter vers une personne ressource. L’accompagnement thérapeutique suffit parfois à surmonter un état dépressif mineur. En cas de dépression avérée, des antidépresseurs peuvent être prescrits et montrent généralement de très bons résultats ; il est important cependant de les combiner à un suivi psychothérapeutique auprès d’un psychiatre formé à la psychothérapie ou d’un psychologue. Si vous êtes actuellement en dépression, vous ne devez pas rester seul(e). Les services hospitaliers d’urgences peuvent être une ressource si vous sentez que vous allez mal. N’oubliez pas que vos perceptions de vous-même (mauvaise estime de soi) et vos difficultés (fatigue, incapacité à réaliser certaines tâches ou activités, troubles cognitifs…) sont entièrement dûs à la maladie. Associée à des antidépresseurs, une thérapie peut notamment vous aider à remettre en question vos perceptions et à observer les biais et les erreurs de jugement qui vous enferment dans le cercle vicieux de l’auto-dépréciation. Il peut aussi s’agir de prendre enfin le temps de vous arrêter sur vous-même afin d’être en mesure d’identifier vos blessures passées et de travailler à les soigner, toujours avec l’aide d’un thérapeute. Dans tous les cas, vous ne devez pas oublier que votre état n’est que passager : avec un accompagnement adapté, vous retrouverez bientôt un mode de fonctionnement normal, et surtout le plaisir de vivre. La dépression n’est pas une fatalité, mais bien une maladie qui se soigne et se guérit. Enfin, plus vite vous serez pris en charge, plus vous évitez les éventuels risques de rechute et de chronicisation du trouble. N’attendez pas pour prendre soin de vous.